Même si le village n'est implanté que sur la rive droite de la rivière, traverser
le Doubs a toujours été une préoccupation majeure pour les habitants et les
autorités afin d'imposer Laissey comme un point de passage important entre
Besançon et Baume-les-Dames.
Afin de faciliter les liaisons entre les plateaux de Roulans et de Bouclans, la
traversée du Doubs à Laissey s'effectuait grâce à l'utilisation d'un bac mû à la
rame ou, dans les derniers temps, guidé par un câble. Il était situé près du
moulin de "La Chevanne".
Quelques ponts en bois ou en pierres existaient à Baume-les-Dames et à Besançon,
mais cela nécessitait un détour de plusieurs heures.
En 1584, les tarifs de passage étaient les suivants :
un homme
un engrogne
un homme et un cheval
5 deniers
une charrette
10 deniers
un chariot non ferré
15 deniers
un chariot ferré
20 deniers
Au début du XVIème siècle, le pont à péage de Baume-les-Dames
était l'un des principaux points de passage du Doubs en Franche-Comté, car il
était situé sur la route de l'Italie aux Flandres. De construction fragile, il
fut emporté par la débâcle et les glaces et ce n'est quand 1522, sous le règne
de Marguerite d'Autriche, qu'il fut reconstruit, non plus en bois, mais en
pierres.
En 1804, seulement vingt-cinq ponts étaient dénombrés sur le Doubs et aucun
entre Baume-les-Dames et le quartier de Bregille à Besançon.
Le pont suspendu
Afin de remplacer le bac de "La Chevanne", trop sujet aux variations
d'humeur du Doubs, un décret impérial du 30 juin 1869, signé à
Saint-Cloud, déclara d'utilité publique la construction d'un pont suspendu à
Laissey. Le village se trouvait alors sur la route de Grande Circulation
n° 30, de Rioz à Vercel. Après adjudication du 20 novembre 1873,
l'ensemble des travaux ont été pris en charge par une société concessionnaire
qui se substitua ainsi aux droits de l'État.
D'une longueur de 81 mètres, son procès-verbal d'épreuve fut signé le
6 juin 1876. Jugé apte pour le service, il fut ouvert à la circulation
le 8 juillet.
Le décret précisait la répartition du coût de construction entre les différents
partenaires ainsi que le montant des différentes subventions "obligatoires" :
répartition des parts
montant
subventions accordées par l'État :
30 000 frs
subventions accordées par le département :
30 000 frs
subventions accordées par les communes intéressées :
40 000 frs
société concessionnaire :
25 000 frs
total de la dépense de construction :
125 000 frs
En août 1866, le Conseil municipal de Laissey vota une allocation de 8 000
francs pour la réalisation des travaux. Or, avec la diminution des activités
minières et de tissage, la commune ne put tenir ses engagements. En 1874,
l'agent voyer réclama le versement d'une somme de 4 000 francs. En
1875, un arrêté préfectoral imposa à la commune d'ouvrir un crédit de
2 800 francs. Lors du Conseil municipal du 14 août de la même année,
les membres répondirent au préfet qu'ils ne pouvaient ouvrir aucun crédit, car
la commune « n'a plus d'argent et ne sait où en prendre ».
Le 19 décembre 1875, elle se pourvoit en Conseil d'état afin de s'affranchir de
payer cette dette.
Agent voyer : officier préposé à la police des chemins et à celle des rues.
Enfin, lors de la réunion du Conseil municipal du 26 juin 1884, il
fut demandé au préfet de proposer au Conseil général de bien vouloir libérer la
commune de la somme de 4 000 francs demandée en 1874 et qui n'avait
toujours pas été payée, car « le maire ne voit ni dans le présent
ni dans l'avenir la possibilité pour la commune de se libérer de cette
somme ».
Afin de rentrer dans ses frais de construction et d'entretien des installations,
la société privée prélevait un droit de passage. La concession du pont était
prévue pour une durée de 14 ans moins un jour à partir de la date d'ouverture à
la circulation au public. Le péage rapportait un bénéfice annuel net d'environ
1 200 francs. L'exploitation du pont était rentable et atteste de son
importance et de sa pertinence sur cet axe routier.
Les tarifs, fixés par le décret du 30 juin 1869 et confirmé par un arrêté
préfectoral du 23 juin 1876, étaient les suivants :
une personne à pied chargée ou non
5 cts
un cheval ou un mulet avec son cavalier
15 cts
chaque mouton, brebis, agneau, bouc ou chèvre
1 cte
un cochon
2 cts
un âne chargé ou non
2 cts
un cheval ou un mulet non chargé
5 cts
tout animal de l'espèce bovine
5 cts
un cheval ou un mulet chargé
10 cts
chaque conducteur d'animaux
5 cts
Note : les droits sont réduits d'un quart lorsque le nombre d'animaux
de la même espèce et appartenant au même propriétaire dépasse cinquante
une voiture suspendue à deux roues attelée d'un cheval ou d'un mulet
40 cts
une voiture suspendue à quatre roues attelée d'un cheval ou d'un mulet
50 cts
chaque cheval ou mulet attelé en sus
20 cts
chaque conducteur de voiture et chaque personne voyageant sur ladite voiture
5 cts
un chariot ou une carriole chargés ou non attelés d'un âne
5 cts
une charrette, un chariot, une carriole ou un tombereau non chargés attelés
d'un cheval ou d'un mulet ou de deux ânes ou de deux bœufs ou de deux vaches
10 cts
les mêmes voitures avec les mêmes attelages chargées
20 cts
chaque cheval ou mulet, chaque paire d'ânes, de bœufs ou de vaches attelés
en sus à une voiture non chargée
5 cts
chaque cheval ou mulet, chaque paire d'ânes, de bœufs ou de vaches attelés
en sus à une voiture chargée
10 cts
chaque conducteur de voiture et chaque personne voyageant sur ladite voiture
5 cts
Étaient exemptés des droits de péage :
le préfet, le sous-préfet ainsi que leurs gens et leurs voitures.
les ministres des différents cultes reconnus par l'État, les magistrats
dans l'exercice de leurs fonctions et leurs greffiers.
les ingénieurs et les conducteurs des ponts et chaussées, les agents
voyers et les cantonniers dans l'exercice de leurs fonctions.
les employés des contributions indirectes, les agents forestiers et les
agents des douanes dans l'exercice de leurs fonctions.
les employés des lignes télégraphiques dans l'exercice de leurs fonctions.
les commissaires de police, les gardes champêtres et les gendarmes dans
l'exercice de leurs fonctions.
les militaires de tout grade voyageant en corps ou séparément, en
possession d'une feuille de route dans ce dernier cas.
les courriers du gouvernement, les malles-poste et les facteurs ruraux
faisant le service des postes.
les pompiers et les personnes qui, en cas d'incendie, iraient porter
secours d'une rive à l'autre ainsi que le matériel nécessaire.
les élèves allant à l'école ou à l'instruction religieuse ou en revenant.
les prestataires avec leurs attelages se rendant sur les chantiers des
chemins vicinaux ou en revenant.
les prévenus, accusés ou condamnés conduits par la force publique ainsi
que leur escorte.
D'autre part, il était défendu :
de courir ou de trotter sur le pont.
de remuer les câbles, les tiges et les garde-corps ou de s'y suspendre.
d'y séjourner.
d'y traîner des charges ou instruments aratoires dont le frottement sur le
pont pouvait en altérer le tablier.
de faire passer les animaux sur les trottoirs.
Dans un premier temps, un bâtiment en bois construit côté Laissey permettait la
perception de l'obole auprès des généreux donateurs.
Plus tard, côté Champlive, une maison fut construite afin d'y loger à demeure le
péager et sa famille, notamment M. Troncin, dit le Père Batti, pour le plus
connu d'entre-eux. Elle fut détruite à la fin des années 1960 lors de la
construction du pont actuel.
La nationalisation
Suite à une loi du 30 juillet 1880, le Ministère de l'intérieur racheta en 1883
à la société concessionnaire le pont pour un montant de 6 500 francs.
Décidé par une circulaire ministérielle du 15 avril 1882, le décret de
déclaration d'utilité publique fut publié le 8 mars 1883.
Son coût de rachat fut réparti ainsi :
répartition des parts
montant
nombre d'années restant à courir :
7 ans
indemnité de rachat :
6 500 frs
montant payé par l'État :
2 170 frs
montant payé par le département :
4 330 frs
montant payé par les communes intéressées :
-
Bien que désormais propriété de l'État, le péage devait toujours être acquitté.
Très vite obsolète
Très rapidement, le pont suspendu devint obsolète. A voie unique et d'une
largeur réduite, il présentait des difficultés pour le transit des grosses
pièces d'artillerie vers le camp militaire du Valdahon qui avait pris beaucoup
d'importance. En effet, à cette époque, la frontière avec l'Allemagne était à
moins d'une centaine de kilomètres suite à l'annexion de l'Alsace et de la
Lorraine par l'Empire allemand.
L'ancien pont
Lors de la séance du soir du 26 avril 1911, le Conseil général du Doubs étudia
quatre propositions émises par le service vicinal en vue de remplacer le pont
suspendu :
projet
points positifs
points négatifs
pont suspendu système Giscla
système plus avantageux que l'actuel.
coût de réalisation.
souhait de ne pas remplacer le pont suspendu par un autre.
économie financière jugée insuffisante pour motiver ce choix.
pont métallique d'une seule portée
esthétique.
coût de réalisation élevé.
pont à trois travées solidaires (à trois arches)
projet préféré par le service vicinal.
solution technique présentant le plus de garanties.
esthétique.
projet le plus coûteux (160 000 francs).
risques de retenue d'eau en cas d'inondations à cause des trois piles.
pont en béton armé à voie large type cantilever
esthétique.
coût de réalisation.
largeur de la chaussée.
côté novateur de la solution technique pour l'époque, certains
ponts en béton armé s'étant écroulés.
Après délibération et quelques interventions sur la dangerosité de l'utilisation
du béton armé eu égard aux problèmes apparus lors de précédentes réalisations,
la dernière solution fut retenue et les travaux de construction d'un pont
moderne en béton armé commencèrent en 1913. Conçu par l'architecte Surleau, de
type cantilever double à deux appuis intermédiaires, il fut inauguré seulement
en 1923 du fait des vicissitudes de la Première Guerre mondiale. Avec ses
superbes arches, il passait pour l'un des plus beaux ouvrages de la région. Et,
cerise sur le gâteau, il était devenu libre d'accès.
Le pont suspendu fut détruit durant cette période et, à nouveau, un bac permit
de passer d'une rive à l'autre. Le préposé à la manœuvre était le même que pour
le pont suspendu : le Père Batti.
Sa construction ne fut pas de tout repos, notamment en 1913 à cause de fortes
inondations. Le 13 novembre à une heure du matin, une péniche chargée de
40 tonnes de marchandises fut emportée. Le 15 novembre, ce fut au tour de
l'un des échafaudages construits pour couler une des piles du pont. Des madriers
arrivèrent jusqu'à Besançon et détruisirent la barque lavandière La
Comtoise. En quelques jours, l'entrepreneur perdit 20 000 francs
auxquels il faut ajouter 15 à 20 000 francs de dégâts à Besançon.
Boom !
Le mardi 5 septembre 1944 à 13H30, afin de couvrir leur retraite vers la
frontière suisse, les soldats allemands firent exploser la moitié du pont, côté
Laissey. La 11ème Panzer division avait alors rétabli la liaison avec
le groupement n° 110.
Les soldats allemands utilisèrent :
soit un canon de 75, car étant en fuite, il fallait agir vite pour couper
tous les accès vers le premier plateau. C'est ainsi qu'ils procédèrent
pour le pont de Vaire-Arcier.
soit des explosifs. Ils ont pu changer de méthode entre les deux ponts et
"adapter" leur technique à cause des spécificités de celui de
Laissey.
En attendant d'éventuels travaux, les habitants firent encore une fois appel à
un bac pour rétablir la circulation entre les deux parties du canton.
Puis, du 29 octobre au 8 novembre 1944, en seulement dix jours, les
5ème et 6ème Compagnies du 152ème Régiment du
génie firent une réparation de fortune et provisoire (qui persista 24 ans...) en
reliant les deux rives à l'aide d'une passerelle métallique et un plancher en
bois. Il fit partie des ponts qui, disait-on, « faisaient du
bruit », la moindre secousse faisant craquer toute l'ossature à
chaque passage d'un véhicule.
A nouveau obsolète
Après la Seconde Guerre mondiale, face à l'accroissement de la circulation et
aux tonnages transportés, le pont devint à nouveau obsolète. La structure en
bois ne pouvait supporter que des véhicules d'un poids maximal de
seize tonnes. Sa largeur n'était pas plus adaptée et il était impossible
pour deux voitures de se croiser. Et, construit perpendiculairement à la
rivière, son accès côté Champlive était dangereux à cause du virage à
90 degrés le reliant à la route.
Le pont actuel
En 1945, 126 ponts étaient à reconstruire sur le Doubs. Celui de Laissey fut
l'antépénultième à être réalisé, juste avant ceux de Chalèze et de Vaire-Arcier,
qui sont d'une architecture identique.
En mars 1968, les travaux débutèrent, mais seront bien vite arrêtés suite aux
événements de mai. Construit en béton précontraint avec deux culées et une pile
centrale sur lesquelles reposent deux travées, il fait six mètres de large et
possède deux trottoirs d'un mètre de large chacun. Ses dimensions généreuses
étaient prévues dans la perspective de la réalisation du canal à grand gabarit
du Rhône au Rhin.
Contrairement à son prédécesseur, il fut construit légèrement en biais par
rapport à la rivière. Cette solution économiquement plus onéreuse, car sa
longueur en était augmentée, permit de diminuer la dangerosité de l'accès côté
Champlive. Bien qu'en hiver, ce virage réserve toujours bien des surprises aux
automobilistes trop pressés.
Anecdote : le premier travail des ouvriers fut de consolider l'ancien pont avant
de débuter les travaux du nouveau afin de maintenir la circulation sur cet axe
important. Il sera détruit après la mise en service du second.
Un pont moderne, mais pour quoi faire ?
Toujours aux goûts du jour en matière de norme de circulation, on ne peut en
dire autant de la côte de Champlive avec ses deux tunnels, dont celui dit à
"escargot", totalement anachronique pour un trafic estimé de 1000 véhicules/jour.
Il est impossible pour un 40 tonnes d'emprunter cet axe. Mais, au final,
c'est peut-être mieux ainsi...
Une grosse rénovation
Comme de nombreuses constructions en béton, le pont commençait à mal vieillir.
Entre fin octobre et début décembre 2011, l'entreprise doubiste Clivio
Travaux Spéciaux réalisa d'importants travaux de rénovation. D'un montant
total de 260 000 euros, ils furent commandés et intégralement financés
par le Conseil général du Doubs.
Reportage vidéo sur le déroulement des travaux réalisé par la Direction des routes et des infrastructures
du Conseil général du Doubs.
Reportage vidéo sur le déroulement des travaux
réalisé par la Direction des routes et
des infrastructures du Conseil général du Doubs.
La première phase consista à retirer les trottoirs et à raboter la chaussée pour
mettre le tablier à nu. Son étanchéité put alors être reprise. Puis, un nouvel
enrobé à chaud fut posé. Des bordures en béton furent coulées et les trottoirs
refaits.
Afin d'améliorer la sécurité en descendant de Champlive, mise à mal par
plusieurs accidents ces dernières années, une bordure haute de cinquante
centimètres fut posée dans le virage permettant d'accéder au pont et se prolonge
sur toute sa longueur. Elle est censée contenir sur la route les véhicules en
fâcheuse posture.
La seconde phase fut la pose de nouveaux joints de dilatation et la mise en
place des différents écoulements d'eau de la chaussée.
La troisième phase fut le renouvellement des appareils d'appui sur lesquels
repose le tablier à l'aide d'une spectaculaire opération de vérinage du pont
(lire ci-dessous).
Enfin, la dernière phase fut le remplacement des garde-corps métalliques.
Totalement rouillés, ils furent renouvelés par de nouveaux éléments emboîtés les
uns dans les autres afin d'assurer une certaine rigidité en cas de collision
avec un véhicule.
La phase de vérinage
Pour renouveler les appareils d'appui sur lesquels repose le tablier et ce
sans couper la circulation des véhicules, la société TSV réalisa une
opération de vérinage du pont. Les 750 tonnes du tablier furent levées de
1,5 centimètres à l'aide de puissants vérins hydrauliques pilotés par un
ordinateur.
L'entreprise Hip'O Jet procéda alors à l'hydro-démolition des chevêtres
à l'aide d'un nettoyeur très haute pression (3 000 bars) afin de
désagréger la pâte de ciment et de ne laisser apparente que la couche
d'agrégats, sans abîmer la matière en profondeur ni le ferraillage. Après
réfection des plates-formes, les appareils d'appuis purent être changés et le
tablier repositionné à sa hauteur initiale.
Bibliographie et crédits photographiques
Bulletin des lois de l'Empire français, deuxième semestre 1869,
tome XXXIV, n° 1735 (pages 122 à 124).
Recueil des actes administratifs de la Préfecture du Doubs, année
1876, n° 19 (pages 314 à 317).
Rapport sur les opérations effectuées pour le rachat des ponts à
péage dépendant des chemins vicinaux (Ministère de l'intérieur,
1889, pages 36, 37 et 53).
Procès-verbaux des délibérations du Conseil général du Doubs,
session d'avril 1911 (pages 175 à 177).
revue La construction lyonnaise du 1er juin 1911, tome
27, n° 11 (pages 128 et 129).
L'Armée française dans la guerre : du Tchad au Danube (Direction
du service d'information du ministère des Armées, Éditions G. P., 1946).
Histoire de Deluz et Laissey (abbé Claude Gilles, 1968).
Charles Quint et la Franche-Comté : portraits et lieux de mémoire
(Paul Delsalle, Éditions Cêtre, 2008).
bibliothèque et archives municipales de la ville de Besançon.
archives municipales de la ville de Pontarlier.
articles du quotidien L'Est Républicain.
bulletins municipaux du village de Laissey (décembre 1990, juillet 1991, juillet 1993, juillet
et décembre 1997, juillet et décembre 1998).
crédits photographiques : droits réservés pour les ayants droit non
identifiés.
crédits photographiques :
droits réservés pour les ayants droit non identifiés.